Photostory : Crépuscule - Chapitre 15

Bonjour à tous,

            J'ai commencé ce roman illustré il y a un peu plus d'un an, juste avant le premier confinement dû à la COVID 19. Je n'avais pas au départ de trame bien précise de l'histoire, mais au fur et à mesure de l'écriture, les intrigues se sont en quelque sorte imposées à moi, à partir des personnalités que j'ai imaginées pour mes personnages. Il est maintenant temps de conclure le récit avec ce quinzième et dernier épisode.

             Je vais donner la parole pour la première et dernière fois à un personnage assez important dans l'histoire : Aidan. Il va nous donner sa version des faits et pour cela, nous faisons un flashback au dimanche matin où il se réveille sans Lolita.

Avertissement : Récit destiné à un public adulte.

NOUVEAU DÉPART

            Il fait déjà jour lorsque j'ouvre l'œil. J'étends mon bras et rencontre un oreiller vide et froid. Je me soulève à moitié : pas de Lolita ! Ses vêtements qui étaient jetés sur une chaise la veille ont disparu aussi. Je saute du lit et parcours toutes les pièces à sa recherche : salle de bain, salle de séjour et même l'atelier. Personne !

            Je m'effondre sur le canapé et me résous à encaisser le fait accompli : Lolita est partie et elle l'a probablement fait pendant la nuit. Je me sens profondément blessé parce qu'elle a préféré affronter les dangers de la rue plutôt que de rester avec moi. Si elle avait tellement envie de s'en aller, elle aurait pu me demander de la raccompagner chez elle. J'aurais été très surpris, mais je l'aurais fait ! Mais voilà, elle ne me faisait même pas assez confiance pour ça ! J'étais triste et déçu, je pensais avoir réussi à l'apprivoiser mais je m'étais bien trompé !

Photo 01 : Aidan triste et déçu

            Je finis par me décider à préparer un thé tout en ruminant ma déception. J'ai aimé Lolita au premier regard alors qu'elle, elle m'a détesté au premier regard ! J'ai toujours eu une espèce d'intuition infaillible pour remarquer les filles qui ne sont pas faites pour moi !

            Lors de notre première rencontre, j'ai essayé d'attirer son attention en proposant un rapprochement entre nos deux communautés. Premier mauvais point : j'ai cru qu'elle allait m'arracher les yeux ! Ensuite, je ne compte pas tout ce que j'ai tenté pour lui soutirer un semblant d'intérêt pour moi : l'humour, la provocation, la gentillesse… Mais puisque rien n'a marché, je jette l'éponge !

            J'entends soudain frapper à la porte. Je m'approche discrètement de la fenêtre pour y jeter un œil : c'est cette casse-pieds de Zora ! Je ne suis pas d'humeur aujourd'hui pour la supporter ! Je m'éloigne de la vitre pour ne pas être vu et évite de faire le moindre bruit.

Photo 02 : Aidan se cache de Zora

            Après avoir tambouriné quelques minutes sur la porte, Zora finit par s'éloigner. Qu'elles aillent toutes au diable, et Zora, et Lolita ! Je peux très bien me passer des femmes ! Il y a quelques années, ma seule ambition de bonheur consistait à rester en vie ! Dans notre monde en déclin, c'est déjà un but assez compliqué à atteindre ! Alors, l'amour, c'est peut-être un luxe auquel il faudra que je renonce.

            Je m'habille et je rejoins mon atelier de mécanique où je me mets à bricoler sans conviction une moto dont les freins sont bousillés. Malgré moi, mes pensées vagabondent et reviennent sans cesse à l'objet de mon obsession : Lolita. Je repense à son regard si sombre et si grave, sa peau si diaphane et si douce, ses longs cheveux couleur de châtaigne qui m'ont caressé comme un voile de soie la nuit dernière… Stop Aidan ! Tu as dit que tu tirais un trait sur cette histoire !

            Je me reconcentre sur ma moto mais cela m'énerve vite ! Je me demande pourquoi je me donne la peine de réparer cet engin. Dans peu de temps, il n'y aura plus assez de carburant pour la faire rouler ! Je shoote dans un seau qui a le malheur de se trouver à portée de mon pied et décide de retourner à mon squat.

Photo 03 : Aidan s'énerve

            C'est sans doute le plus morne dimanche que j'ai passé depuis longtemps. Je tourne en rond, désœuvré, n'ayant envie de rien. Je résiste à la tentation d'aller chez Russell et Diana, mais devoir leur raconter ma déconvenue serait encore plus pénible que de la ruminer tout seul chez moi.

             A la fin de la journée, je vais me coucher assez tôt pour trouver l'oubli dans le sommeil. L'oreiller de Lolita sent encore son odeur, je le balance à l'autre bout de la chambre. Je ne veux plus rien qui me rappelle son souvenir !

Photo 04 : Le coussin de Lolita

            Lundi matin : je me lève de bonne heure. Le ciel est gris, assorti à mon humeur, mais je me sens calmé par rapport à la veille. C'est le jour où je vais visiter les bunkers pour faire des affaires avec eux. En général, je troque du carburant ou des armes contre des denrées alimentaires ou certains articles manufacturés qu'ils ont encore en stock. Russell déteste les bunkers-men et il me charge de traiter avec eux parce que je suis plus diplomate que lui. Selon ses dires, au bout de cinq minutes de conversation avec ces prétentieux rebuts de notre civilisation, il a envie de leur foutre sur la gueule ! Il faut cependant reconnaître qu'ils sont plus organisés et disciplinés que nous. Ils ont su remettre en route un peu d'agriculture et d'élevage. Ils savent aussi produire de l'électricité en petite quantité avec leurs éoliennes.

            J'ambitionne de faire la même chose pour notre ville mais je dépends d'eux pour me procurer des graines à semer ou des jeunes animaux d'élevage. Quant à eux, ils ont besoin d'armes pour se défendre contre les hordes sauvages qui convoitent leurs biens et de carburant pour leurs véhicules. Donc, nous sommes obligés de collaborer malgré nos antipathies réciproques.

            Je suis sur le point de partir, prêt à démarrer ma moto quand je m'aperçois que j'ai oublié de prendre mon pistolet. J'ai bien envie de m'en passer car j'ai la flemme de retourner le chercher. Mais, partant du principe que les ennuis arrivent toujours quand on les attend le moins, je descends de la moto en soupirant et rentre chez moi pour récupérer mon arme.

Photo 05 : Aidan prêt à partir

              La journée commence mal avec ce départ raté : c'est un mauvais signe ! Je sens que d'autres contrariétés m'attendent !

           Je démarre enfin et roule à bonne allure dans les rues vides de la ville. J'essaie de réfléchir au programme de ma journée mais mes pensées me ramènent constamment vers Lolita. Je me demande sans cesse pourquoi elle est partie alors que tout semblait si bien se dérouler.

            A peine ai-je dépassé les dernières maisons de la ville que je m'arrête sur le côté de la route. Il faut absolument que je revoie Lolita une dernière fois pour être fixé sur ses sentiments à mon égard. Si elle me regarde dans les yeux en me disant clairement : "Je ne veux pas de toi Aidan !" Alors je partirai pour de bon.

Photo 06 : Aidan fait demi-tour

            Tant pis, les bunkers attendront ! Je décide de faire demi-tour et me dirige vers le squat de Lolita. Pendant le trajet, je me fais la réflexion que hier, sous le coup de la contrariété, je n'ai même pas vérifié qu'elle était rentrée sans problème chez elle. Je suis vraiment un imbécile !

            J'arrive rapidement à destination et frappe à sa porte. C'est Charlie qui m'ouvre, suivie de près par Pablo. Quand on voit l'une, l'autre n'est jamais loin !

- Bonjour Charlie et Pablo ! Lolita est là ?

            Charlie et Pablo me regardent avec des yeux écarquillés, l'air effarés. Allons bon ! Qu'est-ce que j'ai encore fait ?

Photo 07 : Aidan devant la porte de Lolita

- Mais…tu as donné rendez-vous à Lolita ce matin à ton atelier ! s'exclame Charlie.

- Qui ça, moi ?

- En fait, un jeune homme nous a apporté un message de ta part hier après-midi.

            Je commence à sentir une petite inquiétude s'insinuer dans mon esprit.

- Tu ne peux pas me le décrire ? Comment était-il ?

- Il était grand, assez costaud, avec des cheveux bruns.

- Ça correspond à vingt-cinq pour cent au moins de la population de la ville ! soupiré-je.

- Il n'était pas très aimable…

- Trente pour cent, alors !

- Ah si ! Il bégayait légèrement.

            A ces mots, je blêmis car je viens de comprendre :

- Merde ! C'est Mick le copain de Zora. Je crois que Lolita est en danger ! Depuis quand est-elle partie ?

- Environ une demi-heure.

- Donc, elle est presque arrivée. Pablo, suis-moi avec ta moto, j'aurai peut-être besoin de ton aide !

            Sans attendre sa réponse, je cours vers ma moto et saute dessus. Je démarre sur les chapeaux de roue et file en direction de mon atelier. J'entends assez vite le bruit de la moto de Pablo qui me suit juste derrière. Mais je le distance au bout de peu de temps. Je crois n'avoir jamais roulé à une telle vitesse avec ma bécane. Je prends quelquefois des raccourcis improbables en montant sur les trottoirs ou en m'engouffrant au travers d'étroits passages entre deux bâtiments. Je suis à la limite de déraper à plusieurs reprises et j'essaie de me calmer un peu. Si je me casse la figure avant d'arriver à destination, cela n'aidera pas beaucoup Lolita !

Photo 08 : Aidan roule à tombeau ouvert

            J'arrive enfin dans ma rue et je m'engage dans la cour d'usine envahie de mauvaises herbes qui mène à mon atelier. J'aperçois Lolita de loin et je crie son nom :

- Lolita !

             Surprise, elle tourne la tête dans ma direction. Presque au même moment, j'entends la détonation d'un coup de feu. J'ai l'impression que mon cœur va s'arrêter de battre. Mais je ne sais par quel miracle Lolita n'a pas été touchée. Elle semble terrorisée et je lui commande de se jeter à plat ventre par terre, ce qu'elle fait immédiatement.

            Je descends en catastrophe de ma moto et la laisse tomber lourdement sur le sol. Aussitôt je repère Joey en train de pointer son arme sur moi. Je le connais un peu et je sais qu'il n'est pas très futé. La plupart du temps il est chargé de surveiller l'entrepôt de carburant et je ne m'explique pas pourquoi il se trouve ici. Cet abruti me tient en joue alors qu'il sait très bien qui je suis. J'ai bien mon pistolet mais il se trouve dans la poche intérieure de ma veste et le temps que je le sorte, je serai sûrement mort !

Photo 09 : Joey vise Aidan

            Alors que je m'attends à passer de vie à trépas, je vois soudain Zora s'élancer de derrière un pilier et foncer comme une furie sur Joey en criant : "Non, pas lui !" Tout se passe alors très vite : une empoignade se déroule sous mes yeux, suivie aussitôt par une détonation. Je vois avec horreur Zora s'effondrer par terre, une large tache de sang s'agrandissant sur sa poitrine. Joey regarde son arme, l'air abasourdi par ce qu'il vient de faire.

            Cette diversion m'offre l'opportunité de saisir mon pistolet. Joey dirige à nouveau son arme sur moi. Ma main tremble, ce n'est pas la même chose de s'entraîner sur des boîtes de conserve que de tirer sur une personne.

Photo 10 : Duel entre Aidan et Joey

            Je n'ai pas le choix : c'est lui ou moi ! Je vise du mieux que je peux et appuie sur la détente. La balle atteint Joey à la tête et il s'écroule sur le sol. Je lâche mon arme comme si elle me brûlait les doigts.

            Lolita se relève et court se jeter dans mes bras. Je la serre très fort et sens son cœur battre à mille à l'heure !

- J'ai eu la plus grosse peur de ma vie ! lui avoué-je d'une voix tremblante.

Elle finit par se dégager en protestant :

- Relâche-moi un peu, Aidan, je ne peux plus respirer !

Puis, elle me regarde dans les yeux et me dit :

- Pardon d'être partie sans explication l'autre nuit.

- Je te pardonne si tu promets de ne plus jamais me quitter, lui répliqué-je en souriant.

Photo 11 : Lolita dans les bras d'Aidan

            Notre dialogue est interrompu par l'arrivée de Pablo avec Charlie sur le siège passager. Elle se précipite en pleurant vers Lolita :

- Tout est de ma faute ! C'est moi qui ai insisté pour que tu ailles à ce rendez-vous ! J'aurais pu avoir ta mort sur la conscience !

            Lolita la calme et la rassure :

- Tu n'as rien à te reprocher, ma petite Cookie, comment aurais-tu pu savoir ? Et puis, tu vois, je suis saine et sauve, grâce à Aidan, dit-elle en tournant son regard ému vers moi.

            Pablo fait à son tour un "hug" à Lolita. Là-dessus, arrive Russell, suivi par Diana.

- Nous étions dans le coin et nous avons entendu des coups de feu, dit-il.

Puis, avisant les deux corps sur le sol, il s'exclame :

- Bon sang, Aidan, qu'est-ce qui s'est passé ici ? C'est quoi, ce carnage ?

            J'entreprends de lui expliquer le plus clairement possible le déroulement des événements et conclue :

- Je me sens un peu fautif, j'aurais dû être plus attentif aux dérives dangereuses de Zora. J'aurais peut-être pu éviter ce drame. Quels que soient ses torts, elle ne méritait pas de mourir, ni ce pauvre Joey qu'elle a sans doute manipulé.

Photo 12 : Aidan donne des explications à Russell

            Russell semble atterré par ce qui vient de se passer.

- Jusqu'ici, je n'étais pas très motivé par tes projets de changement de notre société, Aidan, mais je crois qu'il est temps de s'y mettre. On a assez de problèmes de survie sans en plus entretenir des querelles avec les squatteurs ou même ces fichus bunkers-men !

Je me tourne vers Pablo :

- Tu sais, je ne te l'ai pas dit jusqu'ici pour ne pas te démoraliser, mais Lazare n'existe plus. Reste avec nous ! Ce projet d'une ville meilleure, on peut le bâtir ici et pour réussir, j'ai besoin de toi et de toutes les bonnes volontés disponibles.

- J'avais de toutes façons déjà décidé de rester, répond-t-il en souriant. Je n'aurais pas pu me résoudre à quitter Charlie.

Charlie ravie, vient se blottir entre ses bras. Lolita me rejoint timidement aussi et j'enlace sa taille.

- Crois-tu que la race humaine ait une chance de ne pas s'éteindre sur cette terre ? m'interroge -t-elle.

- Je ne peux pas te répondre, Lolita. Nous disparaîtrons probablement un jour. Pourquoi serions-nous éternels puisque même les étoiles meurent ? Mais j'ai envie de retarder ce moment le plus longtemps possible parce que j'ai tellement d'amour pour toi qu'il me faudra encore de nombreuses années avant de l'épuiser !

Elle sourit et m'embrasse longuement. Le temps nous appartient désormais.

Photo 13 : Nouveau départ

                                                                                                         FIN

            Ainsi s'achève cette histoire qui m'a apporté de l'occupation et de la distraction pendant les périodes de confinement que nous avons vécues depuis l'année dernière. J'ai longtemps hésité entre deux fins. Normalement, Lolita devait mourir mais au fil des épisodes, je me suis attachée à son personnage et j'ai trouvé dommage de la faire disparaître. J'ai donc opté pour un dénouement plus convenu mais plus optimiste. De l'optimisme, c'est ce dont nous avons besoin dans le contexte actuel !

            Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont lu ma photostory et plus particulièrement celles qui ont eu la gentillesse de commenter mon travail. C'est toujours intéressant de connaître le ressenti (même négatif) des lecteurs. J'espère avoir réussi à vous divertir un peu, de même que je me suis amusée à écrire et illustrer cette histoire.